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Projets IA en France (2019-2025) : De l’IA Prédictive & Cognitive à la Révolution Générative, Chronique de Transformations en Entreprise.

Introduction

En 2019, un projet d’« IA » en entreprise évoquait le plus souvent l’optimisation prédictive ou un chatbot cognitif. En 2025, il est question d’agents autonomes et de copilotes créatifs. Entre ces deux dates, une révolution s’est opérée, déplaçant l’épicentre de la valeur de l’optimisation vers la génération, et bientôt, vers l’action autonome.

Si le terme « IA » existe depuis des décennies, la déferlante qui a captivé le grand public et bouleversé les entreprises a un visage ou plutôt une boite de dialogue : ChatGPT qui a débarqué en fanfare sur des millions de PCs. Mais cette vague ne vient pas de nulle part. Elle s’est construite sur des années de projets en data, en machine learning et en IA cognitive qui ont préparé le terrain.

Le rôle de l’architecte d’entreprise dans tout ça ? Décrypter ces évolutions pour aligner la stratégie métier et les capacités technologiques. C’est précisément l’objet de cet article : nous vous proposons une radioscopie des projets IA menés en France de 2019 à aujourd’hui. Pour ce faire, nous nous appuierons sur les retours d’expérience d’acteurs majeurs comme Bouygues Telecom avec l’IA cognitive, Carrefour et sa stratégie de « supermarché de la donnée », ou encore AG2R La Mondiale et Veolia dans leur démarche d’industrialisation d’une IA générative de confiance.

En analysant leurs cas d’usages, leurs approches et leurs résultats, nous verrons comment la technologie et la vision qu’en ont les entreprises se sont mutuellement transformées.

I – 2019 – 2021 Quand l’IA c’était Watson, le prédictif et la détection de fraudes

En 2019, l’IA avance encore masquée. Pendant que le grand public vaque à ses occupations,  OpenAI dévoile GPT-2, un modèle de langage qui impressionne les spécialistes, l’entreprise noue un partenariat stratégique d’un milliard de dollars avec Microsoft. Cet investissement, qui s’avérera visionnaire, pose les jalons de la révolution à venir.

Pourtant, en France, loin de l’effervescence médiatique future, le terme « IA » n’est déjà plus un concept abstrait pour de nombreuses entreprises. Les projets se multiplient, non pas encore pour « générer » du contenu, mais pour résoudre des problèmes très concrets. Notre analyse des projets de cette période révèle trois axes d’application dominants : l’analyse prédictive, l’optimisation des processus et le traitement automatique du langage.

A – L’analyse prédictive

À cette époque, l’analyse prédictive devient une arme concrète pour résoudre des défis métiers fondamentaux. Face au risque d’érosion de ses marges lors des négociations, Saint-Gobain a par exemple déployé une IA pour proposer des prix optimisés à ses vendeurs et ainsi protéger ses revenus. Dans une logique plus stratégique, Fnac Darty s’est tournée vers le géomarketing prédictif afin d’estimer le chiffre d’affaires potentiel de ses futures franchises et d’optimiser son maillage territorial.

Le secteur de la grande distribution a également massivement investi ce champ. Pour gérer la complexité de ses 50 000 références dans plus de 1500 magasins, Système U a conçu un algorithme de préconisationcapable d’analyser 4 milliards de lignes de tickets de caisse pour recommander l’assortiment idéal par point de vente. Ces projets révèlent une tendance de fond : utiliser les données pour anticiper les besoins du marché et prendre des décisions plus éclairées.

B – L’optimisation de processus

En parallèle de l’analyse prédictive, cette période voit une forte accélération de l’optimisation des processus internes. L’objectif était clair : gagner en efficacité et libérer les collaborateurs des tâches à faible valeur ajoutée.

Chez Kiloutou, la modernisation de l’architecture décisionnelle a permis de diviser par dix le temps de traitement des rapports de clôture financière, le réduisant de plusieurs heures à seulement quatre minutes. Ailleurs, l’IA a été directement mise à contribution pour automatiser des processus manuels. Manutan a ainsi utilisé une IA pour traiter ses appels d’offres 60 fois plus rapidement et pour router automatiquement 85 % de ses e-mails entrants.

Ces projets visaient un même but : rendre l’entreprise plus rapide, plus agile et plus productive.

C – Le traitement automatique du langage

Mais l’optimisation ne s’arrêtait pas aux processus structurés. La grande ambition de cette époque était de s’attaquer au chaos du langage humain. Le projet titanesque du Crédit Mutuel en est l’emblème : déployer IBM Watson pour aider 20 000 conseillers à analyser des millions d’e-mails, non pas pour les trier, mais bien pour en comprendre le sens et l’urgence.
 
En parallèle, une autre quête mobilisait les entreprises : la grande course au chatbot « intelligent ». Orange Bank lançait son assistant « Djingo », la SNCF son callbot et Bouygues Telecom son propre assistant 24/7. Leur promesse : un service client enfin automatisé et toujours disponible. Avec le recul, et un certain amusement, on réalise à quel point cette première vague de chatbots est déjà de l’histoire ancienne. Face aux IA génératives actuelles, ces assistants, souvent basés sur des arbres de décision complexes, nous paraissent aussi vintages qu’un Minitel, une capsule temporelle de ce que l’on nommait « le futur » en 2021.

II – 2022-2023 – La Vague Générative Change la Donne et l’IA Gagne en Maturité

Fin 2022, une véritable onde de choc secoue le monde de la technologie et, très vite, le grand public. Avec l’arrivée de ChatGPT, DALL-E et Midjourney, l’IA change de visage. Elle n’est plus seulement l’outil des data analysts, capable de prédire ou d’optimiser en coulisses ; elle devient une interface conversationnelle et créative accessible à tous, capable de générer du texte, des images ou du code avec une facilité déconcertante.
Pour les entreprises françaises, le signal est clair : une nouvelle ère technologique commence. Si les déploiements massifs et sécurisés prendront un peu de temps, la perception de ce que l’IA peut faire est radicalement transformée.

A – Montée en puissance des usages IA

Sur le terrain, cette maturité se traduit par des projets de Machine Learning de plus en plus ambitieux et intégrés aux métiers. Le service public n’est pas en reste : France Télévisions industrialise l’usage de l’IA via son « AI Factory » pour des cas comme le sous-titrage en temps réel de Franceinfo ou l’optimisation du placement publicitaire. Dans la distribution, Auchan Retail France développe son application « Caméléon » qui, grâce à un algorithme (XGBoost), modélise l’impact des mètres carrés de rayon sur le chiffre d’affaires pour optimiser l’aménagement de ses magasins. De son côté, Pernod Ricard va plus loin en créant un portefeuille d’applications IA internes pour booster sa performance commerciale et marketing, avec un impact financier positif notable à la clé. L’IA n’est plus un simple outil d’analyse, elle devient un moteur de performance.

B – Préparation à l’IA de nouvelle génération et MLOps

En coulisses, la maturité de l’écosystème IA se mesure aussi à la manière dont les entreprises préparent l’avenir. Certains, comme Ikea, posent déjà les bases d’une IA de confiance en intégrant l’éthique au cœur de leur stratégie, en explorant les LLM et en bannissant les modèles « boîtes noires ». D’autres se concentrent sur l’industrialisation. Le Crédit Agricole, par exemple, a créé la plateforme « MonIA » pour adresser un enjeu clé du MLOps : le monitoring des modèles en production. Cette console permet de suivre les performances, de détecter les dérives des modèles ou les biais dans les données, assurant ainsi la fiabilité des solutions sur le long terme. 

III – 2024 – 2025 – Souveraineté avec Mistral et Autonomie avec les Agents

Dans un contexte mondial de tensions géopolitiques et de compétition technologique exacerbée, la notion de souveraineté n’a jamais été aussi prégnante en Europe. C’est dans ce climat que l’émergence de Mistral AI agit comme un catalyseur. Pour la première fois, une alternative européenne crédible aux géants américains se dessine, et les entreprises françaises saisissent l’opportunité de construire des solutions IA plus maîtrisées.
Mais la période 2024-2025 ne se limite pas à cet enjeu de souveraineté. La maîtrise de la technologie générative ouvre un nouveau chapitre, celui de l’autonomie. L’objectif n’est plus seulement de « générer » des réponses, mais de créer des « agents » capables de mener des actions et des processus complexes de bout en bout avec une intervention humaine réduite. 

A – Le Réflexe Souverain : Les Grands Groupes Français Adoptent Mistral

La quête de souveraineté trouve sa concrétisation dans des projets qui infusent toute l’économie française, avec Mistral AI comme dénominateur commun. Le géant du transport CMA CGM s’appuie sur cette technologie pour automatiser une partie de sa relation client et accélérer la génération de propositions commerciales complexes. Dans le secteur bancaire, BNP Paribas l’utilise pour synthétiser des documents financiers denses, faisant gagner un temps précieux à ses analystes crédit. L’IA souveraine se met aussi au service du public : France Travail l’expérimente pour outiller ses milliers de conseillers, afin qu’ils trouvent plus vite la bonne information pour les demandeurs d’emploi. Enfin, des groupes comme Veolia intègrent les modèles de Mistral dans leurs plateformes internes pour augmenter les capacités de tous leurs collaborateurs.

B – De la Génération à l’Action : L’IA Agentique en Pratique

Dans les grands groupes français, la transition vers les agents IA se concrétise pour optimiser des opérations critiques. Chez Renault, on explore par exemple des agents capables d’orchestrer des processus complexes en R&D. Un agent pourrait ainsi lancer de manière autonome des milliers de simulations virtuelles sur une nouvelle pièce, analyser les résultats et les synthétiser pour les ingénieurs, connectant ainsi plusieurs logiciels experts sans intervention manuelle.

De son côté, Orange travaille sur des agents pour la supervision de son réseau. L’objectif est de passer de la simple alerte à un système autonome qui peut non seulement détecter une panne, mais aussi en diagnostiquer la cause et initier une action corrective. Dans les deux cas, l’IA n’est plus un simple outil d’analyse, mais un acteur qui pilote des actions. 

Conclusion

Au terme de ce voyage de six ans, le constat est sans appel : l’IA en entreprise a changé de nature. Nous sommes passés de l’intégration de solutions prédictives pour optimiser l’existant à l’orchestration d’écosystèmes complexes où l’IA génère, agit et devient un partenaire stratégique.

Pour l’architecte d’entreprise, le défi n’est plus seulement d’aligner la technologie et le métier, mais de concevoir une collaboration homme-machine durable et de confiance. La gouvernance des données, la sécurité des modèles et l’éthique ne sont plus des sujets annexes, mais le socle sur lequel repose la performance future. La prochaine étape ne sera pas seulement technologique ; elle sera avant tout méthodologique et organisationnelle, pour que cette puissance phénoménale se transforme en valeur pérenne et maîtrisée.

Pour plus d’informations sur le sujet : Tina-conseil.com